Une tenue de chasse pour le Château de Riceys-Bas

Mon plus gros projet de 2022 est la reconstitution d’une tenue de chasse pour le Château de Riceys-Bas (Les Riceys, 10). Dans cet article, je raconte comment s’est déroulé le projet, quelles sources d’information j’ai utilisées pour approfondir l’histoire de la tenue et quelles techniques j’ai utilisées.

Au commencement du projet

Tout commence à l’automne 2021. J’ai rendez-vous avec Ségolène de Taisne pour qu’elle me parle d’un projet qu’elle souhaite me confier. Je la connais depuis février. Je suis venue au château pour la première fois début 2021 pour une réunion de préparation des Journées Européennes des Métiers d’Art. Puis l’évènement était devenu virtuel et il a abouti à une vidéo de costumes Renaissance.

En fouillant dans des malles du château qui contiennent de vieux vêtements que les générations successives d’enfants ont utilisées pour se déguiser, elle est tombée sur d’anciens uniformes. Quelques éléments lui ont rappelé un tableau accroché dans le salon qui représente deux frères de la famille au 19e siècle en tenue de vénerie.

En ce mardi de décembre, je découvre donc des uniformes sur un portant, dont deux vestes en lainage marron avec des détails en velours turquoise et un gilet en velours turquoise. Ces trois éléments rappellent sans équivoque le portrait des deux jeunes hommes du salon. Nous discutons. Je prends en photo le tableau et je repars avec les costumes originaux dans ma voiture.

Tableau du milieu du 19e siècle représentant les deux fils de la famille de Taisne en tenue de chasse à courre de l'équipage du château
Portrait d'Angelo et Fernand de Taisne, vers 1858
Veste de vénerie en lainage marron et détails en velours turquoise
Veste originale - devant
Veste de vénerie en lainage marron et détails en velours turquoise
Veste originale - dos

Quelques mois plus tard, nous sommes en avril 2022 et le devis vient d’être validé.

Je commence à travailler dessus en juin 2022.

L’histoire de la tenue

Pour démarrer mes recherches, je sais que la tenue est une tenue d’équipage de chasse à courre, équipage auquel ont participé les membres de la famille de Taisne au 19e siècle. Les deux jeunes hommes du portrait sont les fils de Charles de Taisne, l’aïeul de l’actuel propriétaire du château qui se nomme également Charles de Taisne. Ce dernier m’a confié que son aïeul ainsi que son fils Angelo ont beaucoup pratiqué la chasse.

Pour dater plus précisément la tenue, j’ai suivi deux pistes : la généalogie de la famille et l’histoire des équipages de chasse à courre.

La généalogie de la famille

J’ai trouvé des renseignements sur les dates de naissance et de décès des membres de la famille sur geneanet.org.

  • Charles de Taisne de Raymonval : 1802-1875
  • Angelo de Taisne de Raymonval : 1840-1898
  • Stanislas Fernand de Taisne de Raymonval : 1870-1955
  • Angelito de Taisne de Raymonval : 1916-2004
  • Charles de Taisne de Raymonval : actuel propriétaire

L’histoire des équipages de chasse à courre

Sur le site « Mémoire d’équipages », beaucoup de choses sont répertoriées.

Une tenue d’équipage de chasse à courre est très codifiée. Les couleurs sont spécifiques à l’équipage. Ici c’est le marron et le turquoise. Les boutons sont fabriqués spécialement pour l’équipage avec son animal emblème et sa devise. Ici, il s’agit d’un sanglier et de la devise « Champagne à mort ». C’est ce dernier élément « Champagne à mort » qui me permet de retrouver la page de l’équipage sur le site « Mémoire d’équipages ».

boutons de tenue de vénerie avec un sanglier et la devise "Champagne à mort"
Bouton de la veste
boutons de tenue de vénerie avec un sanglier et la devise "Champagne à mort"
Boutons du gilet
boutons de tenue de vénerie avec un sanglier et la devise "Champagne à mort"
Bouton du gilet

Il s‘agit donc de l’équipage « Société Champagne à mort » actif de 1840 à 1862.

Si l’on recoupe avec l’âge des jeunes hommes du tableau, Angelo et Fernand de Taisne, nous sommes probablement dans les années 1855-1860. Cela se recoupe avec une datation du tableau donnée sur le site « Mémoire d’équipage » qui le date d’environ 1858.

Angelo de Taisne a mené des équipages par la suite, dont l’équipage Rallye Champagne et l’équipage de Ricey. La tenue était rouge avec des détails verts. J’ai mémoire de vestes semblables dans les vêtements suspendus au portant que j’avais vus en décembre 2021.

La reconstitution de la tenue

C’est une chance rare d’avoir comme référence un tableau et des éléments originaux. De plus, les sources sur le costume du 19e siècle sont assez prolifiques car il nous reste beaucoup de choses.

Tenues originales avec deux vestes et un gilet portés sur des mannequins
Eléments originaux conservés au château
Gilet en velours turquoise
Gilet original en velours de soie turquoise
Veste de vénerie originale de l'équipage Champagne à mort. Veste en lainage marron avec des détails en velours turquoise. Vue de dos
Veste de vénerie originale de l'équipage Champagne à mort. Veste en lainage marron avec des détails en velours turquoise. Vue de dos

J’ai pu comparer ce que j’avais sous les yeux avec les sources décrivant les patrons historiques. J’ai relevé le patron des éléments originaux qui m’ont été confiés. Mais j’avais une veste et un gilet très larges, probablement ceux de Charles de Taisne et une veste très étroite, probablement celle d’un des deux frères. Mon mannequin d’exposition, lui, avait une taille intermédiaire entre ces deux gabarits. J’ai du arbitrer ce qu’il fallait accentuer ou gommer car relevant bien de la forme voulue par la mode de l’époque ou de la particularité donnée par le corps du porteur du vêtement.

Je me suis beaucoup servie du livre « Cut of men » de Norah Waugh pour la veste, le gilet et la culotte.

Pour la chemise, Ségolène de Taisne m’avait confié en juillet 2022 une chemise ayant certainement appartenu à Angelo de Taisne car brodée A.T. Cette chemise étant certainement une chemise de tenue habillée, je me suis également servie d’une chemise du 19e siècle que l’on m’a donnée au même moment.

Chemise blanche à plastron sur un buste de couture
Chemise originale d'Angelo de Taisne
toile de chemise 19e siècle sur son buste de couture
Toile de la chemise après réglage de la toile
Chemise blanche sur un buste de couture
Chemise reconstituée et finie lors de la livraison

Pour la cravate, j’ai trouvé sur Gallica « L’art de mettre sa cravate » écrit en 1827. Vive la numérisation ! Nous avons donc une cravate à la gastronome. La cravate du 19e siècle est généralement un carré de tissu amidonné qui est noué selon la forme que l’on veut lui donner. La cravate à la gastronome fait partie des quelques cravates dont le tissu n’a pas besoin d’être amidonné. La technique de nouage est assez proche de celle de nos nœuds papillon actuels.

Gravure de 1827 montrant différents types de nouage de cravate
L'art de mettre sa cravate, 1827 - Gallica
Cravate blanche nouée sur le cou d'un buste de couture
Cravate nouée sur le col montant de la chemise

Pour la ceinture et les boutons, j’ai trouvé des artisans de qualité qui ont su les reproduire assez fidèlement. Merci LaborTemporis pour les boutons et la boucle de ceinture et Artisâme pour la ceinture !

La partie technique

Je suis partie d’une base de patron travaillée à plat sur papier avec mon crayon, mes règles et autres perroquets. Puis j’ai tout coupé en toile de coton pour faire un essayage sur mon mannequin, sur lequel j’ai passé des heures à ajuster mon patron.

Et enfin quand toutes les lignes ont été révisées et validées, j’ai coupé dans mon tissu.

J’avais coupé ma veste en premier et en tissu pour faire une première présentation du projet en juillet 2022 au Château de Riceys-Bas. J’ai donc refait un essayage avec le tissu au moment où j’essayais les toiles des autres éléments.

J’ai utilisé la technique du tailleur à la main avec entoilage travaillé en points à la main, comme on m’avait appris à le faire en DMA costumier-réalisateur il y a presque 15 ans. Des heures de petits points pour un tombé inimitable par une autre technique !

Haut de veste en lainage marron en cours de réalisation avec l'entoilage visible
Les picots du col et des revers de col sont faits. Le haut de veste est en cours d'assemblage et de finitions. Les parementures sont épinglées. Je vérifie au mannequin que les revers tombent bien.
Vue de côté dos du picotage de l'entoilage du col
L'entoilage du col est picoté. La prochaine étage est la finition des bords pour pouvoir recouvrir avec le velours turquoise.
Haut de veste en lainage marron en cours de réalisation avec l'entoilage visible
On voit bien les points de chevron pour l'assemblage temporaire de l'entoilage du buste sur le lainage

La livraison

Début décembre 2022, la tenue est terminée et prête à être livrée.

J’ai installé le costume sur son mannequin dans le salon devant le tableau et sous le regard des deux Charles de Taisne, celui du 19e siècle dans son tableau et l’actuel à côté de moi. Le costume prenait tout son sens dans l’histoire de ce lieu et de la famille qui y vit encore.

Reconstitution de la tenue de chasse. Vue de la chemise et de la culotte dans le salon du Château de Taisne devant le portrait qui a servi à la reconstitution
La chemise et la culotte sur le mannequin en cours d'habillage devant le portrait qui a servi de modèle
Reconstitution de la tenue de chasse. Vue du gilet en velours turquoise porté sur une chemise blanche avec une cravate nouée blanche autour du cou
Le gilet porté sur la chemise avec la cravate nouée à la gastronome
Reconstitution de la tenue de chasse vue de face avec la redingote en lainage marron aux détails en velours turquoise, la culotte blanche et une ceinture en cuir
La tenue complète

Je vous remercie pour votre lecture. Vous pouvez me joindre sur mes différents réseaux sociaux, Facebook et Instagram, ou par mail pour échanger à propos de ce costume (voir ma page Contact). Je serai également ravie de discuter avec vous de vos projets de costume.

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